CHIMIE - La chimie contemporaine

CHIMIE - La chimie contemporaine
CHIMIE - La chimie contemporaine

On assiste, depuis le début du XXe siècle, à un développement tout à fait remarquable, à la fois quantitatif et qualitatif, de la chimie.

Au début du siècle, des procédés de synthèse des grands intermédiaires, tels que l’ammoniac, l’acide nitrique, le méthanol, ont été portés à l’échelle industrielle (aux alentours de 1913). Par la suite, on a vu naître et se développer de nombreux produits nouveaux: les engrais synthétiques, qui sont apparus à la fin de la Première Guerre mondiale, ou encore les matières plastiques et les produits de la chimie thérapeutique, qui ont connu un essor considérable à partir des années 1940. Dans le domaine des métaux, le développement de la métallurgie classique s’est poursuivi, mais parallèlement ont été élaborés de nouveaux alliages, et certains métaux dits «exotiques» (titane, zirconium, hafnium...) ont été de plus en plus utilisés. C’est également au cours de la seconde moitié du siècle qu’ont été mises au point les différentes méthodes de traitement de produits pétroliers, méthodes qui ont bouleversé toute la chimie industrielle classique.

Ces divers produits et procédés n’ont pu voir le jour que grâce à l’amélioration des connaissances fondamentales de la matière et de ses transformations. L’originalité de la chimie moderne tient en effet aux fortes relations qui existent entre les progrès de la science chimique et ceux de ses applications.

La chimie a longtemps été scindée en chimie générale, chimie minérale et chimie organique. Si cette division a un intérêt historique certain, elle recouvre difficilement la réalité actuelle. Au fur et à mesure qu’elle se généralise, la chimie devient plus complexe: il apparaît des interactions et des recoupements entre les disciplines énumérées ci-dessus. Aussi, préfère-t-on aujourd’hui adopter une nouvelle classification regroupant les différents travaux en fonction des concepts et des méthodes d’investigation auxquels ils font appel, et s’articulant en quatre principaux chapitres: chimie moléculaire et biologique, chimie des matériaux, chimie des interfaces, outils et méthodes pour la chimie; et ce, sans oublier les interactions avec les secteurs socio-économiques.

1. La chimie moléculaire et la biochimie

La chimie organique traditionnelle s’est fortement élargie et s’étend maintenant aussi bien aux molécules biologiques complexes qu’aux molécules inorganiques ou aux macromolécules. Elle crée des édifices plus ou moins complexes et explique leurs propriétés. Outre les composés organiques classiques, on prépare et on étudie désormais des molécules dans lesquelles le squelette organique est lié à des atomes métalliques (tels que les composés organométalliques), des molécules formées d’associations entre un ligand organique et des cations métalliques (complexes de coordination), ainsi que des édifices totalement inorganiques comme de petits agrégats d’atomes métalliques ou clusters (fig. 1). On s’oriente aussi vers l’élaboration d’une chimie supramoléculaire, fondée non plus sur des liaisons covalentes classiques, mais sur des interactions diverses entre molécules; c’est ainsi qu’ont été créées des structures tridimensionnelles préconçues pour fonctionner comme des récepteurs capables de reconnaître et d’emboîter un substrat donné: les cryptates (photo).

Au début du siècle, la chimie organique industrielle utilisait le charbon comme source de matières premières carbonées. Tout a changé avec l’essor de l’exploitation pétrolière qui a donné naissance à la pétroléochimie. Des molécules de base, telles que le méthane, l’éthylène, le propylène, le benzène, etc., sont issues de fractions pétrolières et servent d’intermédiaires dans la synthèse de produits organiques industriels. C’est à partir de quelques molécules simples de ce type que sont élaborées les matières plastiques et les fibres synthétiques: polyéthylène haute et basse densité, polychlorure de vinyle, polyamides (nylon), caoutchoucs synthétiques, aramides (Kevlar)... Le développement de la chimie organique industrielle n’a pu se faire que grâce aux progrès réalisés en catalyse hétérogène et homogène. La majorité des procédés de préparation de ces produits nécessite en effet l’apport de catalyseurs, ces composés qui diminuent parfois considérablement les temps de réaction et les quantités d’énergie consommées. De nouveaux catalyseurs très performants sont apparus au cours des vingt dernières années, comme les complexes de métaux de transition. Ils ont bouleversé les méthodes de fabrication des grands produits industriels, telles que celles de l’acide acétique (préparé par le procédé Monsanto qui utilise un catalyseur au rhodium), l’acrylonitrile (procédé B.P.-Ugine avec un catalyseur étain-antimoine), etc.

Parallèlement au développement des produits de base, on a assisté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à la naissance et à l’essor de la chimie fine, qui concerne les produits complexes et à forte valeur ajoutée comme les colorants, les cosmétiques, les arômes, les produits pharmaceutiques, les phytosanitaires... Pour ce qui est des molécules biologiques, par exemple, on est désormais capable d’extraire et de caractériser des molécules très complexes et fragiles, et on peut isoler des quantités de plus en plus faibles de produits. Ces composés peuvent être aussi préparés au laboratoire à l’aide de très nombreuses méthodes de synthèses totales (s’effectuant à partir de molécules organiques simples) ou d’hémisynthèses (se faisant à partir de molécules naturelles moins complexes que la molécule cible). Depuis les années 1970, la gamme des méthodes de synthèse s’est élargie avec l’utilisation des catalyseurs naturels que sont les enzymes et, avec l’apparition, au cours de ces dernières années, des biotechnologies et l’emploi d’organismes vivants (bactéries, micro-organismes) pour réaliser certaines molécules naturelles (telles que l’insuline, par exemple).

Pour préparer certains produits de la chimie fine, on cherche maintenant à utiliser des produits de la biomasse (végétaux) et certaines des molécules de structures déjà élaborées qu’elle renferme. Les méthodes de préparation des divers produits de la chimie fine – qu’il s’agisse de molécules biologiques ou non – exigent presque toujours l’établissement de schémas de synthèse complexes. C’est pourquoi l’un des principaux problèmes posés actuellement aux chimistes est d’accroître la sélectivité de chaque étape réactionnelle.

Les progrès de la synthèse de molécules complexes résultent de l’amélioration des connaissances fondamentales de la structure des molécules ainsi que des règles et des mécanismes qui gouvernent leurs interactions et leurs réactions. En outre, la conception des molécules et leur synthèse sont de plus en plus guidées par une meilleure compréhension des relations entre la structure des molécules et leurs propriétés; cela permet souvent, notamment en pharmacologie, de remplacer de longs essais systématiques d’une nouvelle molécule par une demande a priori d’un produit ayant des caractéristiques données. Ces études ont pu être menées à bien grâce aux énormes possibilités offertes par le développement des calculateurs modernes, ainsi que par les nouvelles techniques expérimentales telles que la spectroscopie (cf. infra : «Les outils et les méthodes de la chimie»).

2. La chimie des interfaces

Elle concerne toutes les réactions et plus généralement tous les phénomènes qui s’effectuent à l’interface de deux milieux: liquide-solide, solide-solide, solide-gaz. Elle joue un très grand rôle en biologie ainsi que dans de nombreux domaines de la chimie (catalyse hétérogène, électrochimie, science des matériaux, membranes, problèmes d’adhésion, de collage, etc.).

La catalyse hétérogène concerne l’étude de toutes les réactions dans lesquelles le catalyseur est à l’état solide. Elle a pris depuis les années 1950 un essor considérable et joue un rôle de première importance dans un très grand nombre de processus industriels, comme ceux du raffinage, de la pétroléochimie, des synthèses industrielles de grands intermédiaires (acide sulfurique, acide nitrique, ammoniac...), dans l’industrie des engrais (phosphates, engrais azotés...) et dans la synthèse des polymères notamment.

Plusieurs types de catalyseurs peuvent être utilisés dans ces procédés: les métaux employés seuls ou sur support (qui étaient souvent des métaux précieux que l’on cherche à remplacer par des matériaux moins coûteux), les alliages, les oxydes métalliques et les catalyseurs acides. Dans ce dernier domaine, les zéolithes (fig. 2), solides poreux dont on peut régler la taille et la dimension des cavités, trouvent de nombreuses applications aussi bien dans l’industrie (craquage catalytique, hydrocraquage, isomérisation des paraffines visant à augmenter l’indice d’octane dans les essences...) qu’en recherche fondamentale, où elles constituent un support reproductible pour l’étude des réactions de la catalyse hétérogène. Les études fondamentales visent essentiellement à une meilleure connaissance de la structure des catalyseurs, des mécanismes de réactions et des corrélations entre structure et mécanismes.

L’électrochimie fait intervenir des problèmes d’interfaces dans la mesure où elle traite de l’ensemble des transformations qui résultent de l’application d’un champ électrique à l’interface de deux phases condensées, l’une à conduction principalement ionique, l’autre à conduction le plus souvent électronique.

L’électrolyse permet de préparer par voie électrochimique toute une gamme de molécules diverses, depuis les plus simples, telles que l’hydrogène (électrolyse de l’eau), le brome ou le fluor, jusqu’aux molécules organiques (adiponitriles, produits fluorés) ou organométalliques (plomb-tétraméthyl).

Dans le domaine des piles et des batteries, les recherches menées dans la seconde moitié du XXe siècle ont conduit à la réalisation de nouveaux systèmes de piles rechargeables, de micropiles et de microbatteries. La mise au point d’électrolytes solides ou de polymères spécialement adaptés permet le développement actuel d’une électrochimie en milieu solide (piles au lithium, alumine 廓).

On assiste également à la naissance de la photoélectrochimie, qui constitue une nouvelle tentative pour domestiquer l’énergie lumineuse. Il s’agit de processus électrochimiques qui ne se produisent pas spontanément, mais s’effectuent sous l’influence de photons lumineux, conduisant à des réactions stockant l’énergie correspondante.

La connaissance des phénomènes électrochimiques est enfin indispensable à la résolution des problèmes de corrosion des solides (25 p. 100 de la production annuelle mondiale d’acier est consommée par la corrosion!).

Autre secteur concerné par les interfaces: les membranes, micelles et micro-émulsions.

L’étude des membranes concerne aussi bien les membranes biologiques, dont on souhaite mieux comprendre le fonctionnement, que la fabrication de membranes artificielles industrielles utilisables dans les procédés de séparation.

Les micro-émulsions sont des solutions homogènes de deux phases, a priori non miscibles (comme l’eau et l’huile), qui trouvent des applications tant dans les procédés modernes de récupération assistée du pétrole que dans la mise au point de substituts du sang.

Enfin, les interfaces solide-solide et solide-liquide jouent un rôle essentiel dans les grandes opérations métallurgiques, au niveau de l’élaboration, de la mise en forme, de l’emploi et du comportement mécanique des métaux sous diverses sollicitations.

3. La chimie des matériaux

Ce domaine recouvre une partie de l’ancienne chimie minérale, dans la mesure où il concerne les problèmes liés aux métaux et aux non-métaux ainsi qu’une part de la traditionnelle chimie organique, avec notamment l’étude des polymères.

Depuis une dizaine d’années, la chimie du solide ne se contente plus de créer et d’étudier des matériaux modèles, mais s’intéresse aux solides réels, avec tous les défauts qu’ils comportent et qui influencent grandement leurs propriétés, tout en donnant ainsi des résultats plus facilement applicables aux matériaux utilisés pratiquement. Elle élabore des matériaux originaux, étudie leur structure, leurs propriétés et établit les relations entre structure et propriétés.

Dans le domaine de la préparation des matériaux, on cherche à améliorer les procédés d’élaboration des métaux et alliages classiques (comme l’acier inoxydable) et à réaliser des solides à propriétés spécifiques (thermiques, mécaniques, électriques, magnétiques). On cherche aussi à fabriquer des solides à partir de minerais pauvres ou de produits de récupération, et l’on s’efforce de remplacer les métaux précieux ou relativement rares dans les alliages usuels.

Les méthodes d’élaboration de matériaux ont d’ailleurs beaucoup évolué, en particulier grâce à l’apparition de certaines techniques, telles que le frittage (préparation de céramiques, d’aciers spéciaux mais aussi de superalliages), l’hypertrempe (préparation de matériaux amorphes), la réalisation de matériaux sous de très hautes pressions, ou dans des plasmas (cf. photo). De même, l’amélioration des traitements des matériaux (traitements thermiques, procédés de dépôts) permettent de préparer des solides à plus hautes performances. On fabrique également certains matériaux sous forme de fibres (fibres de carbone, de carbure de silicium, de verre, de silice) qui peuvent être employées soit seules, soit dans une matrice solide pour constituer des matériaux composites.

Au cours de ces dernières années on a, enfin, assisté à la mise au point de nombreux matériaux amorphes (ayant une structure analogue à celle des verres), tels que des gels, des verres très purs (destinés à la préparation de fibres optiques) ou des verres fluorés (utilisables par exemple dans les lasers). On a vu aussi apparaître des verres métalliques, possédant une structure intermédiaire entre celle des verres et des métaux, dont le développement peut bouleverser certaines applications du fait de leur résistance mécanique et de leur résistance à la corrosion.

La connaissance de la structure des matériaux est importante pour mieux maîtriser les propriétés de ceux-ci. On cherche, par exemple, à mieux connaître l’arrangement des atomes dans les amorphes, ou dans les nouveaux matériaux que sont les solides bi ou unidimensionnels. On s’attache encore à déterminer la nature des défauts existants ou créés artificiellement dans les solides.

L’étude des propriétés spécifiques des matériaux permet de leur trouver de nouvelles utilisations. Les solides peuvent présenter un type particulier de propriétés, comme des propriétés thermiques (céramiques réfractaires...) – ce qui leur permet d’être utilisés dans les fours, dans les réacteurs nucléaires, solaires ou industriels – ou bien des propriétés «croisées», telles que des propriétés opto-électroniques, magnéto-optiques, piézo-électriques, etc.

La connaissance du comportement des matériaux sous diverses sollicitations, et notamment celle de leurs modes de destruction, est très importante à la fois pour les métallurgistes, les industriels et les bureaux d’études; l’utilisation des théories de la mécanique de la rupture a apporté de notables progrès en ce domaine. Il faut également citer l’apparition des essais non destructifs, qui ont joué un grand rôle dans l’étude des matériaux à très haute valeur ajoutée (céramiques, composites).

Une catégorie particulière de matériaux, les semiconducteurs, occupe une place croissante à la fois dans la recherche fondamentale et dans les applications, du fait de leurs propriétés électriques originales. Parmi les nouveaux matériaux apparus au cours des dernières décennies, signalons certains matériaux céramiques, les matériaux composites, les cristaux liquides, les alliages superplastiques, les fibres supraconductrices et les amorphes.

La synthèse et l’étude des macromolécules s’est amorcée après la Première Guerre mondiale et a permis l’apparition de matières plastiques, résines et vernis élastomères, fibres textiles, lubrifiants, etc. La connaissance de la structure des polymères (naturels ou artificiels), jointe à la maîtrise des réactions de polymérisation, permet aujourd’hui de réaliser des matériaux possédant des caractéristiques imposées d’avance.

Parallèlement à l’amélioration des propriétés des polymères existants, on voit maintenant apparaître de nouveaux matériaux très performants: conducteurs organiques, alliages de polymères, composés «sandwich» métal-polymères, polymères biodégradables, biomatériaux.

4. Les outils et les méthodes de la chimie

L’une des révolutions les plus importantes du siècle, et surtout de sa seconde moitié, a été l’introduction dans les laboratoires de chimie de méthodes instrumentales d’analyse et de détermination de structures très performantes. Grâce aux progrès de ces techniques, il est devenu courant d’obtenir, en un temps raisonnable, l’isolement et la détermination complète de la structure des molécules ou de matériaux complexes, ce qui demandait auparavant plusieurs années de travail.

Ces méthodes d’analyse sont fort nombreuses et variées, et il n’est pas question de les envisager toutes ici. On peut schématiquement distinguer:

– Les méthodes d’analyse immédiate permettant la séparation de phases différentes – filtration, centrifugation, flottation...

– Les méthodes fournissant l’analyse des constituants d’un mélange – extraction liquide-liquide, chromatographie, diffusion à travers des membranes, résines échangeuses d’ions...

– Les méthodes d’analyse élémentaire des molécules – spectroscopie d’absorption atomique, spectroscopie d’émission dans les torches à plasma, fluorescence X, activation neutronique...

– Les méthodes d’analyse structurale des molécules – résonance magnétique nucléaire (R.M.N.) spectroscopies infrarouge et ultraviolette, spectrométrie de masse, diffraction des rayons X, microsondes...

– Les techniques de caractérisation des matériaux qui sont fondées sur le bombardement de ceux-ci par des particules chargées (électrons, neutrons...). Certaines d’entre elles sont adaptées à l’étude de la surface des solides (microscopie à balayage, spectrométrie Auger, E.S.C.A. ou Electronic Spectroscopy For Chemical Analysis...); d’autres permettent de caractériser ponctuellement une partie du volume des matériaux (sondes de Castaing, sondes ioniques, microsonde Raman...).

Plusieurs de ces techniques sont maintenant couplées à l’utilisation des ordinateurs, ce qui accroît, outre la rapidité du traitement des données, la précision des résultats. L’ordinateur est également de plus en plus souvent intégré parmi les outils des chimistes, que ce soit au niveau de la documentation, de l’aide à la synthèse organique, de la détermination de structures à partir de la simulation de synthèses, etc.

À ces appareillages, présents dans de nombreux laboratoires, il faut enfin ajouter l’instrumentation «lourde»: les accélérateurs de particules (cyclotron) et les réacteurs nucléaires utilisés par les radiochimistes, ou bien encore les synchrotrons, source remarquable de rayonnement lumineux, intense, polarisé et continu depuis les rayons X jusqu’à l’ultraviolet proche. Certaines de ces méthodes, telles que les méthodes spectroscopiques, ont ailleurs été mises au point, au départ, par les physiciens. Elles sont maintenant non seulement utilisées, mais aussi étudiées dans leur principe, améliorées et adaptées par les chimistes. Néanmoins, d’autres «outils» couramment employés au laboratoire, ont été élaborés par des chimistes. C’est ainsi que les spécialistes de la chimie analytique ont élaboré et font progresser les diverses techniques chromatographiques, électro-analytiques, et les micro-analyses. Les radiochimistes et les chimistes nucléaires étudient les réactions induites par des ions lourds accélérés; ils ont mis au point des méthodes performantes permettant de doser certains éléments à l’état de trace. Les photochimistes, qui s’intéressent aux interactions entre le photon et la matière, ouvrent l’accès à la connaissance de la structure et des états excités des molécules (ayant souvent des durées de vie extrêmement brèves).

Quant à la chimie théorique – qui étudie les molécules, leurs propriétés, leurs interactions par les méthodes de la chimie quantique ainsi que par des méthodes stochastiques –, elle joue un rôle important dans tous les domaines de la chimie. Ses progrès, favorisés par l’apparition de calculateurs de plus en plus puissants, permettent, dans certains cas, de faire précéder des expériences longues et délicates par un calcul théorique pouvant prédire les réactions possibles et celles qui ont peu de chances d’aboutir, ou pouvant fournir des renseignements précieux sur la stabilité des molécules préparées. Ils permettent même parfois d’obtenir par le calcul des résultats non encore accessibles par l’expérience.

Enfin, le génie chimique est une discipline indispensable pour le transfert des procédés de l’échelle du laboratoire à celle de l’industrie. Il a pour principale tâche d’optimiser les réactions par rapport aux données techniques, économiques et sociales et par rapport à l’environnement.

5. La chimie et les secteurs socio-économiques

Si la chimie a comme but essentiel d’améliorer les connaissances à l’intérieur de son domaine propre et de favoriser l’expansion de l’industrie chimique, elle intervient également dans la résolution de problèmes socio-économiques importants de notre époque.

Elle joue en effet un grand rôle dans le domaine de l’énergie: d’abord, en tentant de mettre au point des procédés plus économiques pour l’industrie chimique, gros consommateur d’énergie; ensuite, en intervenant au niveau de la production, de la transformation, du stockage des différentes formes d’énergie.

Dans la production du pétrole, les méthodes les plus modernes de récupération assistée (qui devraient permettre d’extraire une grande part des 75 p.100 de l’huile restant dans les nappes souterraines) font appel à des produits chimiques comme des polymères hydrosolubles et des micro-émulsions. Les géochimistes ont aussi un rôle important en étudiant les composés qui sont à l’origine de la formation de la matière organique sédimentaire. En outre, depuis la «crise du pétrole» amorcée en 1973, on tente de remplacer cette source d’énergie. C’est ainsi que l’on tente d’utiliser d’une part les pétroles lourds, les schistes bitumeux, le lignite ou le charbon en les transformant en combustibles fluides, d’autre part la biomasse (résidus agro-alimentaires, végétaux...). Signalons que le développement de l’énergie solaire fait également appel à de nombreux domaines de la chimie: la photochimie, électrochimie, la chimie des matériaux, le génie chimique.

Le stockage de l’énergie est facilité par la mise au point de nombreux systèmes de piles et d’accumulateurs. On cherche à stocker l’hydrogène sous forme d’hydrures métalliques, ou encore, pour le plus long terme, à stocker l’énergie solaire sous forme d’hydrogène.

Au niveau de la transformation des hydrocarbures, comme par exemple le raffinage, les catalyseurs constituent un outil essentiel dont il faut connaître le mode d’action. Ils interviennent dans les procédés visant à éliminer l’azote et le soufre des fractions lourdes.

Très lié au précédent, le domaine des matières premières pose une série de problèmes spécifiques dus à la raréfaction de certains métaux ou minerais. Les chimistes doivent en particulier: élaborer des procédés d’extraction de matières premières à partir de minerais de plus en plus pauvres, ou encore récupérer des métaux très dilués (domaine où peut intervenir l’hydrométallurgie). Une autre façon de résoudre les questions posées par l’appauvrissement des matières premières est de substituer à celles-ci des produits de remplacement. La chimie des matériaux joue un rôle important à cet égard, en tentant de remplacer des métaux rares ou chers par d’autres métaux ou alliages plus abondants et moins onéreux, ou par des matériaux nouveaux (comme les céramiques ou les composites).

Dans le cadre de l’environnement, il revient aux chimistes de détecter les polluants dans l’atmosphère ou dans l’eau et le sol, puis de les analyser. Ils interviennent également dans l’étude du cycle des éléments (azote, carbone...) et des formes successives sous lesquelles les éléments se trouvent dans la nature. Ils sont enfin chargés de mettre au point des méthodes préventives ou curatives contre la pollution: élaboration de nouvelles réactions utilisables dans la lutte contre les nuisances, traitements de dépollution, réalisation de procédés non polluants.

Dans le domaine de la santé, la plupart des médicaments utilisés de nos jours sont des produits synthétiques ou semi-synthétiques. Le rôle de la chimie a été d’une part d’analyser les produits naturels, d’en établir la structure puis de les fabriquer en partie ou de toutes pièces (l’une des plus belles réussites dans ce domaine a été la synthèse totale de la vitamine B12, molécule extrêmement complexe, par l’Américain Woodward), d’autre part d’élaborer des produits totalement artificiels, dépourvus par exemple de certains des effets secondaires que présentent les composés naturels (antibiotiques).

L’intervention des chimistes apparaît dans l’étude du mode d’action des produits d’intérêt thérapeutique, et dans celle des mécanismes des réactions biologiques. Ils ont contribué aussi à une meilleure connaissance de la structure des constituants essentiels de la matière vivante que sont les protéines, les acides nucléiques, etc., ainsi qu’à la domestication des enzymes comme catalyseurs de réactions. Ils mettent à leur service non seulement des enzymes mais aussi les micro-organismes, les levures, les cultures de tissus végétaux et animaux, dont ils peuvent moduler l’activité avec la complicité des biologistes. Fixées sur des supports qui les insolubilisent et rendent leur manipulation plus aisée, enzymes et cellules sont utilisées soit comme réacteurs, et leurs métabolites seront alors isolés (exemple: antibiotiques), soit comme catalyseurs dont on mettra à profit la haute stéréospécificité pour réaliser des réactions chimiques délicates.

Un autre volet important de la participation de la chimie aux problèmes de santé est la mise au point de biomatériaux: alliagesdentaires, céramiques, matériaux composites pour la réalisation de prothèses de la hanche ou de rotules artificielles, polymères biocompatibles pour la fabrication de lentilles de contact, etc.
Enfin, la chimie est à la base de nombreux produits d’usage courant relevant de domaines fort variés: colorants, produits phytosanitaires, détergents, produits photographiques, fréons, etc.

En conclusion, la chimie n’est qu’une section d’un ensemble de sciences formant un spectre continu. L’organisation française a longtemps fractionné cet ensemble et laissé dans un certain oubli les spécialités situées aux frontières des différentes disciplines. La tendance actuelle est au contraire de favoriser la suppression de ces frontières – par exemple, le génie chimique (commun à la chimie, à la mécanique, à l’automatique), la biochimie, la dynamique moléculaire (proche de la physique) – et de développer ainsi des recherches pluridisciplinaires souvent fort fructueuses. Les exemples évoqués dans les paragraphes précédents montrent l’intérêt de ces liaisons nouvelles entre sciences, qu’il s’agisse des bénéfices tirés par la chimie du développement d’une instrumentation performante ou, au contraire, de l’apport des chimistes à la biologie dans le domaine des molécules à activité thérapeutique.

La science chimique est par ailleurs située en amont d’une industrie puissante et multiforme avec laquelle elle entretient d’étroites relations. Les chercheurs s’emploient essentiellement à mettre au point de nouveaux produits (tels que les phases de Chevrel, solides à structure moléculaire renfermant de petits amas d’atomes métalliques et qui devraient conduire à la réalisation de nouvelles bobines supraconductrices), à améliorer les procédés existants ou à en trouver de nouveaux (une nouvelle méthode de préparation de l’UDMH, combustible pour la fusée Ariane, a par exemple été élaborée dans un laboratoire lyonnais). Inversement, les chercheurs trouvent, parmi les problèmes concrets posés par l’industrie, de nouveaux sujets de recherche. Ainsi, dans le domaine des micro-émulsions, une nouvelle branche de la physico-chimie des solutions a été développée pour répondre aux problèmes soulevés par la récupération assistée du pétrole.

Tel est donc le double aspect de la science chimique: science de la matière aux possibilités multiples et science des substances situées aux limites du règne vivant, c’est également une science de transfert qui est à même, d’une part, d’appliquer les méthodes rigoureuses de la physique aux problèmes cruciaux de la biologie, et, d’autre part, d’assurer les liens et les interactions entre la recherche fondamentale et ses applications industrielles.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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